Combien coûte un jeu vidéo ? Dans le monde vidéoludique, il est souvent difficile de le savoir. Quels montants sont alloués à quels postes ? Combien pour animer un personnage ou créer une musique ?
L’industrie du jeu vidéo n’est pas connue pour être très transparente. C’est un problème que je vais essayer de limiter en vous donnant quelques chiffres. Ils vous donneront une idée des enjeux financiers que représentent les jeux vidéo. Accrochez-vous, vertige assuré !
Un montant pour deux budgets
Pour commencer, j’aimerais vous donner une idée des montants nécessaires pour que les jeux sur lesquels vous passez du temps voient le jour. Je suis sûr que pour certains, ça va vous surprendre !
Tout d’abord, il y a en réalité deux budgets différents que l’on intègre dans la réalisation d’un jeu :
Le budget de développement “pur” : C’est l’argent qui servira à créer l’univers, l’histoire, les personnages, les nombreux éléments graphiques, les effets spéciaux (VFX), la structure technique du jeu (tout le code), la musique, etc.
Le budget communication et marketing : C’est l’argent qui sera dédié à la promotion du jeu dans sa globalité (vidéos d’annonces, pubs en ligne ou en magasins, participation à des salons, contacts de créateurs de contenu, etc). Souvent, dans les grosses productions en tout cas, le budget marketing est au moins équivalent voir supérieur au budget de développement.
On peut se poser une question : la concurrence est-elle rude même pour les gros acteurs du marché (Ubisoft, Rockstar, Square Enix par exemple) ou utilisent-ils ces montants pour inonder le marché et invisibiliser les acteurs qui ne peuvent pas en faire autant ? Mais c’est un autre sujet !
Pour les productions avec des fonds moins importants, l’aspect marketing est bien souvent mis de côté pour la fin du développement. Malheureusement, beaucoup de créateurs ne peuvent pas supporter un coût de production important et celui de la promotion de leur jeu en même temps. La stratégie choisie est de faire l’un puis l’autre…éventuellement, s’il reste des sous…
Des exemples de coûts de production
Voici quelques chiffres du coût de production de jeux que certains d’entre vous connaîtront sûrement. Comme il est difficile d’avoir un chiffre précis, je vous donne un ordre d’idée qui vous donnera tout de même le vertige :
La palme d’Or du jeu le plus chère à produire actuellement et qui est toujours en développement d’ailleurs : Star Citizen, un jeu d’action dans l’espace promettant une grande liberté. Il est développé par le studio Cloud Imperium Games. Le jeu a déjà coûté plus de 600 millions de dollars uniquement pour la partie développement et autour de 90 millions pour la communication et le marketing (Le vertige je vous dis !).
Red Dead Redemption 2, un jeu d’action à l’époque du Far West américain et créé par Rockstar North. Il a coûté autour de 170 millions de dollars pour le jeu et entre 200 et 300 millions pour la communication autour du jeu !
Assassin’s Creed Unity par Ubisoft à, lui, coûté 70 millions de dollars pour la partie développement et autant pour le marketing.
Redescendons sur terre avec des chiffres un peu plus raisonnables :
Alors qu’ils demandaient environ 20 000€ (35 000 dollars australiens) pour Hollow Knight, la Team Cherry a récolté autour de 34 000€ grâce à la campagne Kickstarter réalisée. Pas de détails sur la répartition entre le budget développement et le budget communication. Il y a fort à parier que cette somme ne représente pas le coût total qu’aura coûté le jeu mais on voit très facilement le fossé entre le coût d’une super-production (AAA) et un jeu indépendant plus modeste (mais néanmoins très qualitatif !).
Le jeu de gestion et de survie, Dead in Bermuda, développé par le studio CCCP, aura lui coûté un peu plus de 130 000 € selon le Monde. Le studio a tout juste réussi à rentrer dans ses frais au bout de 3 années d’existence du jeu.
Je pense que cela vous donne une idée des montants nécessaires pour créer une aventure virtuelle ! C’est faramineux ! Et ça ne s’arrêtera pas là, parce que les studios s’imposent de faire toujours plus impressionnant et donc toujours plus chère pour vous satisfaire !
Répartition des coûts de production
Comment justifier de tels montants d’un projet à l’autre et quels sont les postes pris en compte dans ces chiffres ? Je ne vais pas pouvoir faire un listing très précis car pour cela, il faudrait que je sois dans les petits papiers de studios ou d’éditeurs. D’ailleurs, même si c’était le cas, il faudrait également que je rompe de nombreuses clauses de non divulgation (les fameuses Non-Disclosure Agreement ou NDA) pour vous en parler parce que dès qu’il s’agit de chiffres, on touche à des informations confidentielles !
Petit aparté :
Je vous invite à faire une distinction entre jeu à budget important et un jeu de qualité ! De nombreux jeux à budgets bien moindres ont prouvé leur qualité là où des jeux avec des fonds très élevés ont réussi à sortir plein de bugs ou avec des mécaniques de jeu plus que mal fichues.
Un écosystème de compétences
Les montants que l’on vient de voir peuvent faire peur mais c’est malheureusement le résultat lorsqu’on veut produire toujours plus grand !
Ces chiffres vertigineux s’expliquent par la multiplicité de métiers et de compétences nécessaires à la production dans le cadre d’un gros projet. Dans le cas d’une production plus petite avec un développeur solo, il devra porter de nombreuses casquettes. Les coûts seront donc réduits même s’il aura probablement besoin d’aide pour la création de visuels ou de musiques pour son jeu. Il ne faut pas sous-estimer le coût de ses petits projets qui dépasseront souvent le millier voire plusieurs dizaines de milliers d’euros très rapidement.
Exemple d'une équipe de développement
En effet, un jeu vidéo est le fruit d’une somme de nombreuses compétences mises bout à bout pour construire un projet sur plusieurs années.
Imaginons que l’on veuille développer un “petit projet” dans la veine d’un jeu d’aventure en 3D type Tomb Raider par exemple :
Pour construire l’univers de ce projet, il faut quelqu’un pour poser les fondations de ce jeu, les règles qui régissent le personnage du joueur et l’ensemble du monde autour (Game Designer).
Afin de développer une histoire, des quêtes et des personnages, il vous faut un professionnel qui va développer la narration autour de ces éléments (Narrative Designer).
Rien n’existe sans le code de toutes ces belles choses, il faut donc au moins un développeur.
Si l’on veut des personnages visibles, jouables ou non, il faut quelqu’un pour construire la représentation graphique et parfois la psychologie des personnages (Character Designer).
Pour mettre un peu de textures dans ce beau projet, il faut un graphiste.
Pour que ces personnages puissent se mouvoir, il faut quelqu’un qui va créer les animations (Rigging designer).
Une fois que nos personnages sont “vivants”, ils vont se mouvoir dans un environnement pour le découvrir. Ces niveaux seront imaginés et conçus par un créateur de niveau (Level Designer).
Pour que ce bel univers soit crédible et vivant, il faut du son. On fait donc appel à un artisan du son qui va créer toutes sortes de bruitages pour donner vie aux niveaux (Sound Designer).
Il n’y a pas d’aventures épiques sans musiques épiques en fond ! Pour magnifier l’épopée, il faut donc un compositeur.
Et enfin, si ce projet à pour but d’être vendu (on l’espère vu le monde qui bosse dessus !), il faudra un responsable marketing (Product Manager).
Pour un petit projet, on a là une belle équipe avec plein de compétences très utiles. Évidemment, selon l’ambition du projet (le scope), il peut y avoir besoin d’autres métiers complémentaires à ceux cités juste au-dessus.
Calculons le coût salarial de notre équipe
C’est seulement un exemple pour vous montrer à quel point chaque aspect d’un jeu requiert des compétences très spécifiques et les savoir-faire d’un métier bien particulier.
Comme je l’ai déjà précisé, les chiffres exacts sont difficiles à obtenir. Je vais donc prendre comme document de référence, le référentiel du Syndicat National du Jeu Vidéo (SNJV). Ce document commence à dater et n’a pas été mis à jour depuis donc les chiffres ne sont pas à prendre pour absolus (Ils ont sûrement changé depuis) mais il a le mérite de donner une idée assez précise des missions et salaires de nombreux métiers du jeu vidéo. Je vous conseille d’y jeter un œil si c’est un domaine qui vous intéresse professionnellement. L’exercice ici sert à vous donner une idée de ce que peut représenter le coût d’une petite équipe comme celle que l’on a vu juste avant. On parle de salaires annuels bruts médians (50% ont plus, 50% ont moins).
Si l’on fait un rapide calcul, voici ce que l’on obtient :
Game designer : Environ 34 000€ par an soit 2800€ par mois.
Narrative Designer : Environ 39 000€ par an soit 3200€ par mois.
Développeur : Environ 44 000 € par an soit 3600€ par mois.
Character Designer (ce métier n’étant pas présent dans le référentiel, j’ai repris le même salaire qu’un graphiste 3D) : Environ 38 000€ par an soit 3100€ par mois.
Graphiste 3D : Environ 38 000€ par an soit 3100€ par mois.
Animateur : Environ 36 000€ par an soit 3000€ par mois.
Level Designer : Environ 38 000€ par an soit 3100€ par mois.
Sound Designer : Environ 39 000€ par an soit 3200€ par mois.
Compositeur : Environ 37 000 par an soit 3050€ par mois.
Product Manager : Environ 30 000€ par an soit 2500€ par mois.
Pour un total de 27 550€ pour un seul mois. S’ajoute à ça, l’éventuelle location d’un bureau et plein d’autres charges que je ne vais pas lister içi (trop de chiffres pour aujourd’hui !).
Dernière précision importante : l’argent d’un jeu n’arrivant qu’après avoir été vendu (logique, me direz-vous) je vous laisse imaginer les problèmes qu’un studio rencontre pour faire tourner une équipe à l’année.
Ce sera d’ailleurs le sujet d’un article qui viendra compléter celui-ci : Comment sont financés les jeux vidéo ?
Pour conclure
Combien coûte un jeu vidéo ? Eh bien, je pense que vous l’aurez compris. Cher, très cher même pour beaucoup d’entre eux. Les montants que vous pouvez parfois retrouver dans les médias cachent souvent la partie immergée de l’iceberg. Les différents budgets varient selon l’ambition du projet, selon les compétences nécessaires pour construire ce nouvel univers vidéoludique. Il est possible de créer un jeu seul mais cela demande de maîtriser plusieurs domaines à la fois et n’est pas à la portée de tout le monde ! Je me permets d’insister sur la condition de développeur solo. Bien souvent, ces devs sacrifie beaucoup de leur qualité de vie. Pour leur création, ils se retrouvent dans une période de travail intense (crunch) qui s’étend sur plusieurs mois voire années. Je pense sincèrement que ce n’est pas fait pour tout le monde. J’ai même envie de dire que ça ne devrait être fait par personne tant l’impact est important à de nombreux niveaux.
Amis joueurs, c’est pour toutes ces raisons que je vous invite à soutenir les développeurs indépendants (solo ou en petite équipe) avec de petits gestes simples à faire sur Steam par exemple.
J’espère ne pas trop vous avoir assommé de chiffres et que vous aurez mieux compris la composition du coût d’un jeu vidéo avec toute la complexité que cela implique !
Je vous remercie d’avoir pris le temps de lire cet article et vous dit à très bientôt !